Chenil : la meute

Elle en avait entendu parler il y a déjà un petit moment. Mais le gardien du chenil lui avait bien dit, pas avant au moins six semaines, c'était le temps minimum pour le sevrage. Elektra avait donc laisse passer le printemps de la naissance, et avait attendu les premiers jours de l'été.

Pour une fois qu'elle avait un peu de temps devant elle, et qu'elle pouvait le passer à Kehlen, elle avait envie de profiter d'une belle journée pour faire plaisir à son fils. L'héritier Von Hohenlohe commençait à faire ses premiers pas en tenant la main de sa mère, et Dieu que cela semblait fastidieux.

Le maitre du chenil attendait patiemment la maitresse et la salua avec déférence à son arrivée, puis il sourit en voyant l'enfant.

Les chiots ont bien grandi, je suis certain que cela va lui plaire.

Alors qu'il ouvrait la première barrière, Elektra ramassa son rejeton et le colla sur sa hanche. Ils avaient pris l'habitude, dès que la mère était au domaine, de venir faire une visite au chenil et l'enfant n'avait aucune appréhension vis à vis des animaux. Elle essuya la bouche baveuse qui s'amusait à faire des bulles et suivit l'homme.

J'ai également une surprise pour vous. C'est assez étonnant, j'en avais entendu parler mais encore jamais vu.

Intriguée, Elektra le suivit jusqu'à la seconde barrière, qui donnait sur l'enclos qui séparait les femelles qui allaient ou venaient de mettre bas du reste de la meute. Ils se dirigèrent vers un endroit ombragé où une chienne était allongée sur le flanc, nourrissant une portée de huit chiots.

Ils en profitent encore un peu, mais leur sevrage est en cours.

L'animal se redressa en voyant son maitre approcher, celui-ci sortit une "friandise" de sa poche et la lui donna. Les chiots se mirent aussitôt à pousser de petits jappements et Alexander remua comme un diable pour se débarrasser des bras de sa génitrice. Le déposant à terre, le retenant d'une main, la nuée de chiots se jeta aussitôt sur lui, lui faisant pousser des petits éclats de rire.

L'homme en attrapa un et le montra à Elektra.



Voyez celui-ci ! Il n'a pas les couleurs prononcées et distinctes des autres. C'est le seul que nous ayons eu jusqu'à aujourd'hui.

La jeune femme lâcha l'enfant, sans pour autant en détourner complètement son attention, et attrapa le chiot. Aussitôt il se mit à la lécher et elle laissa échapper un petit rire.

Vrai qu'il est adorable. J'aime beaucoup sa petite frimousse.

Elle s'accroupit près de l'enfant et, écartant les autres chiots d'un revers de bras, elle lui montra celui de couleur crème qui tentait de s'échapper de ses mains.

Regarde mon petit cœur, n'est-il pas beau celui-ci ? Qu'est-ce que tu en penses, il te plait ?

C'est trop bien ! Maman est revenue à la maison ! Maman elle travaille beaucoup alors je suis trop content quand elle peut venir jouer avec moi. Et on fait des promenades, et moi j'aimerai bien marcher tout seul, comme les grands, mais c'est dur.

Aujourd'hui on va voir les chiens, j'aime bien les chiens, ils me lèchent, ca chatouille. Et j'ai même pas peur ! Maman elle me donne la main et c'est comme si je marchais comme un grand, même si des fois je tombe. Mais je vais y arriver, c'est sur !

Il y a plein de bébés chiens, ils sont rigolos, et ils sont à ma taille. Je me laisse tomber sur les fesses et je joue avec, j'éclate de rire, je m'amuse bien.

Regarde mon petit cœur, n'est-il pas beau celui-ci ? Qu'est-ce que tu en penses, il te plait ?

Oh oui ! Il est beau ! Il me plait bien. Je tends la main et il me lèche, je l'attrape par la peau du dos pour l'attirer à moi. Il est à moi !

A veux, a veux !!

Maman elle ne me refuse rien et moi je veux le petit chien !

Un an. Le petit Alexander avait déjà un an. Le temps avait filé, comme toujours, et la jeune maman avait l'impression de ne pas avoir suffisamment profité de la chair de sa chair. Il avait une nourrice qui s'occupait de lui de façon exceptionnelle, elle lui faisait confiance les yeux fermés. Seulement, elle se rendait compte à présent qu'elle avait manqué des évènements lors de cette première année, et que revenir en arrière était toujours aussi impossible.

Les dernières semaines avaient également changé le petit chiot non encore sevré en une boule de poils jappant et sautant partout. L'enfant et l'animal s'étaient accueillis à grands coups de renversement et de coups de langue. Alexander avait reçu la nouvelle du jour avec une grande joie qu'il avait manifesté par de grands cris. C'était son anniversaire et le chiot allait pouvoir quitter le chenil pour venir vivre avec son petit maitre au château.

Ils avaient fait quelques pas dans la grande cour qui séparait les dépendances du château, lorsque la mère avait posé une question qui aurait pu paraitre anodine, mais à laquelle l'enfant avait répondu d'emblée, sans aucune hésitation.

Il va falloir lui trouver un nom, à ton petit chien. Tu as une idée, mon cœur ?

Othon !

La réponse avait, pendant un instant, laissé la mère bouche bée, surprise de ce choix, puis elle s'était souvenu de ce conte que son fils réclamait sans cesse à sa nourrice, et où le héros était un chevalier parti en Terre Sainte lors d'une grande croisade. Othon de Grandson, dont la vie était presque une odyssée. Son fils rêvait donc déjà d'être un chevalier, comme tous les enfants.

Hé bien ! C'est un beau nom, surtout pour un aussi joli petit chien. Bienvenu parmi nous Othon.

En chœur, le duo s'était mis à courir, trébuchant autant l'un que l'autre, en direction du château. Elle les avait regardé avec un léger sourire aux lèvres.

Depuis des années, elle s'était persuadée qu'être mariée lui donnerait une vie privée, tout ce pan de vie dont elle s'était plus ou moins volontairement privée. Elle avait été heureuse de ne pas devoir se résoudre à épouser un homme qui aurait eu "le profil" mais de pouvoir unir sa vie à celle d'un homme dont elle était amoureuse. Cependant, elle comprenait qu'elle n'avait toujours rien de cette vie privée rêvée, mais que de cette vie en général, elle pouvait tirer des instants de bonheur comme celui-ci.

Son regard se releva machinalement vers les hautes fenêtres du château, une pensée fugace pour l'homme distrait qui habitait là. Le regard azur flotta un instant devant ses yeux puis disparu sous les nouveaux cris de l'enfant, frustré devant l'immense escalier alors que le chiot en grimpait les marches en sautillant allègrement.
Elle prit la main de son fils dans la sienne et, patiemment, lui fit monter les marches une à une. Nul doute que l'intention du petit von Hohenlohe était d'exhiber fièrement son nouvel ami aux yeux du reste de la famille.